Kalango
CLUB DES DETENDUS DU PARE-BATTAGE
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Eric
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« Répondre #9 le: 17 Septembre 2023 15:13:20 » |
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Trois thons et trois saumons fumés plus tard, agrémentés d’une part de tarte au thon pour la route, c’est parti pour le retour. Il est 17 h 10.
Si le ponton visiteur s’est légèrement rempli, le vent n’a pas bougé depuis mon arrivée. Ça va faciliter le départ si toutefois j’arrive à sauter dans le bateau. C’est parti, demi-tour sur place, un coup d’œil au feu tricolore vert et blanc autorisant la sortie du bassin, je croise dans l’avant-port un Leader déjaugé naviguant à trois noeuds : jolie carène ! Je ne le remercierai pas suffisamment pour son sillage qui me fera danser sur le pont en retirant les derniers pare-bats.
Cette fois-ci, au bout des passes, je tournerai à droite, en direction du continent. Si j’ai fait l’extérieur à l’aller, je ferai l’intérieur au retour.
La météo est bonne pour l’instant. La convection qui semblait bloquée assez bas se développe rapidement. Des cumulus apparaissent sur les terres, certains poussent à vue d’œil dans ce qui reste cependant des tours filiformes. Le point positif de cette évolution, c’est qu’avec un tel aspirateur d’humidité, la visibilité est exceptionnelle. A la sortie de la jetée, on a presque l’impression d’être déjà arrivé au pied des barres de Saint-Jean-de-Monts. Plus surprenant, le pont de Noirmoutier se détache très nettement au-dessus de l’horizon. J’arrive à en distinguer les piliers…
La mer est agréable. L’île nous abrite de la houle. Ne subsiste qu’un léger clapotis dû au vent, le genre qui fait clac-clac-clac-clac et nettoie la coque dès qu’on accélère un peu. Je n’accélère pas trop car je ne sais pas trop ce que la houle va me réserver. A l’aller, c’était sympa d’avoir la houle sur l’arrière. Au retour, en plus de l’inconfort, on peut s’attendre à une consommation plus importante. Normalement ça doit le faire, j’ai consommé bien moins de la moitié du réservoir, mais… je modère mon ardeur, profitant raisonnablement de ce clac-clac-clac-clac.
Je me fixe une réserve de 100 litres restant calculée par le SC 1000 pour me diriger vers la pompe la plus proche. Ce sera au choix les Sables, Bourgenay (mais si la houle a grossi, y entrer peut s’avérer difficile), puis Saint-Martin.
17 heures 35 , j’arrive à la pointe des Corbeaux. La houle redoutée n’est pas au rendez-vous, ou si longue et si peu prononcée que je sens que c’est encore une traversée qui va être pénible… Allez, cap… 310 - 2 + 2 = 130.
Je ne sais pas ce qui se passe à cet endroit précis, mais, ici, j’ai toujours du mal à prendre ce cap, et je me retrouve le plus souvent plus ou moins au 120. Est-ce parce que la côte disparaît derrière la corniche de Sion ? Ce n’est pas grave, d’autant que par rapport à la houle, c’est plus confortable, et que du point de vue essence, ça me rapproche des côtes.
Le béton de Saint-Jean-de-Monts n’en finit pas de s’accrocher au sillage, celui de Saint-Gilles prend le relais mais disparaît plus rapidement derrière les dunes. C’est ensuite le paysage le plus triste du voyage… Un long cordon dunaire, plat et rectiligne, surmonté d’un trait de verdure et interrompu juste le temps d’y glisser un château d’eau histoire de ne pas s’y perdre.
18 heures. Je sors la bouteille d’eau, en maudissant le gars qui a pensé qu’on pouvait réduire l’épaisseur du plastique jusqu’à ce qu’elle est, transformant la bouteille en court tuyau flexible qui s’agite dans les vagues. Mais bon, boire ou conduire, il faut choisir, je le savais. Je passe alors aux choses sérieuses et cette promesse merveilleuse qu’est cette part de tarte au thon que la vendeuse m’a délicatement calée au fond d’une barquette, elle-même emballée dans un film plastique. J’ouvre cette protection. La pâte est trop molle pour que je l’attrape comme ça. Il est plus sage de s’assoir. Alors, d’une main, je déploie le boudin du assis-debout, et au moment précis où je m’assieds, une vague projette le volant dans la barquette. La tarte au thon décolle sans avoir pris le cours d’atterrisage kivabien. Comme la tartine de confiture, elle finit face contre teck. Pff… Et comme si cela ne suffisait pas, en ramassant ce qui fut une part de tarte au thon, je me cogne la tête contre une poignée…
Il faudra désormais compter avec ce terrible sentiment de faim pour la fin du voyage.
Ce cordon dunaire finit par s’échouer sur les Sables, dont on n’aperçoit pour l’instant que la tourelle des Barges. Un coup d’œil au totalisateur d’essence. Je suis bon, j’atteins à peine la moitié du réservoir consommée. La houle s’atténue à mesure que le soleil baisse sur l’horizon. Croisière économique à 22 noeuds, parfois 23, un rendement qui oscille autour des 0,5 NM/litre en fonction des vagues.
J’arrive à proximité de la sud de Petite Barge. Je suis depuis plusieurs minutes le bon cap 130. Les Sables et la blancheur des façades du Remblais dans le soleil bas se dévoilent, mais c’est au sud que ça devient intéressant. A 200 mètres, j’aperçois des petites vagues, du genre de celles qu’on peut faire quand on veut éclabousser autour de soi. J’y vais, pas me faire éclabousser bien sûr, mais voir ces dauphins qui passent le temps en attendant Gilles… Il y en a une dizaine, qui nagent, qui jouent, certains viennent à ma rencontre, je filme, c’est génial… J’entends leur souffle quand ils sortent de l’eau, j’ai le sentiment que si je n’étais pas là, ça ne changerait rien pour eux. D’ailleurs ils continuent leur route, sautillant, éclaboussant un peu plus loin.
C’est alors que je comprends la différence fondamentale entre Gilles et moi. Non, ce n’est pas uniquement notre vitesse de croisière (même si…); non, ce n’est pas ou ce n’est plus notre capacité à trouver les dauphins; non, c’est tout simplement que lorsque Gilles arrête de filmer, ça s’arrête. Moi, c’est l’instant où ça commence à enregistrer. Bref, ces belles galipettes, elles ne sont donc que pour moi. C’est trop bête, alors je pousse légèrement les manettes « Moteur! », un petit virage pour recoller au peloton « ça tourne ». Effectivement, ça tourne, quelques instants toujours magiques cette fois enregistrés quelque part au fond du smartphone !
Je ne les dérange pas davantage, je reprends ma route, les falaises ont pris le pas sur les dunes. Bourgenay apparaît, le ciel est gis, couvert. La bouée d’atterrissage, blanche et rouge, brille avec le soleil qui est de plus en plus bas. D’ailleurs, il ne tarde pas à disparaître sous les nuages, offrant au paysage une lumière douce, où les couleurs du ciel deviennent pastel, des gris, des oranges, des bleus qui résonnent dans l’éclat brillant des vagues.
Au loin, une épaisse fumée noire s’échappe, verticale, avant de former un long panache horizontal. Ça vient d’un bateau qui évolue devant les Baleines. Je sors les jumelles. C’est un petit chalutier, il semble naviguer normalement, il faudra juste qu’il règle un peu sa combustion…
Je continue ma route. Les Baleines à tribord, le château d’eau de la Tranche à bâbord, j’entre dans le Pertuis breton. “Sécurité-Sécurité”. Le CROSS Corsen demande des témoignages sur un navire qui serait en feu au large de Jard. Je contacte le sémaphore des Baleines, qui m’indique, sur le 10, que c’est un promeneur qui a contacté le 196 pour leur signaler ce que j’avais vu. Visiblement, le petit chalutier n’a pas non plus de VHF, puisqu’il ne donnera pas de ses nouvelles. Pas de nouvelles, bonnes nouvelles ! D’ailleurs je n’entendrai pas de Mayday Mayday par la suite…
La houle a complètement disparu. Je navigue sur un lac. Parfois sa surface se ride sur une dizaine de mètres. C’est de la friture qui frétille à la surface en laissant impassibles les mouettes qui se reposent à proximité. Sans rien toucher, la vitesse est passée à 24 noeuds, et le rendement est passé au-dessus des 0,5 NM/litre. Je croise un voilier, grand voile noire hissée, raide, dans l’axe du bateau. Il marche discrètement au moteur. Quelqu’un devrait peut-être lui dire que le triangle, c’est pas la pointe en haut du mât, mais bien en bas. A quand le permis pour les voileux…
Il reste encore une demi-heure avant que le centre du soleil ne disparaisse sous l’horizon, mais à terre, les lumières s’allument déjà les unes après les autres. Les silos de la Pallice clignotent en rouge, les grues scintillent en blanc. J’installe le mâtereau qui porte le feu blanc, et j’allume les feux de route. Sous le pont de l’île de Ré, je croise une de ces navettes inter-îles encore chargée de ses touristes qui allume également ses feux.
Que c’est beau ce calme qui brille encore un peu, Flottant tranquillement sur le temps suspendu. Dans les vapeurs de la nuit il sera perdu, Ne résistant au noir que l’éclat de ses feux.
Sans craindre la panne d’essence, c’est à 35 noeuds que je termine le voyage. Après une large courbe à gauche, j’embouque le chenal, les feux bien alignés l’un au-dessus de l’autre. A 200 mètres des bouées d’entrée, je réduis, 5 noeuds pour la finale, je prépare les pare-bats en compagnie d’un Dufour 500 qui dispose d’au moins un mousse par pare-bat. Kalango, lui, a 6 pare-bats par mousse et change de direction selon mes déplacements à bord, ivre sans doute des milles parcourus aujourd’hui.
L’avant port dans la pénombre du crépuscule, puis la panne, enfin le dernier virage, moment crucial choisi par un moustique pour me piquer le bras. Le traître !
Finalement, amarre en main, je descends sur le catway. Il est 20h21, c’est l’heure du coucher du soleil sur La Rochelle. La nuit est tombée sur Kalango. C’était sa dernière sortie de la saison.
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